Lectures indiennes 3/3. Le dernier roman que j’ai lu lors de nos vacances en Inde. House Of Cards (qu’on pourrait traduire par Le Chateau De Cartes) est un livre que j’ai acheté au hasard dans une librairie indienne type Fnac (la chaine de librairie indienne s’appelle Crosswords, ou « mots croisés »). Il était sur le présentoir des publications récentes, à côté de deux ou trois autres titres du même auteur.
J’ai été emballée par la couverture aux couleurs chaudes et vives, et par la représentation du kolam qui s’inscrit en filigrane (l’espèce de grille/noeud infini) sous le titre. Le kolam est un art de l’Inde du sud exécuté par les femmes avec de la poudre de riz à même le sol, devant la porte du logis. Son caractère éphémère a la même portée philosophique que les mandalas de sable coloré tibétains. Je m’intéresse depuis plusieurs années à ce type d’art, d’où le fait que la couverture de House Of Cards ait attiré mon attention.
Il y avait donc trois ou quatre livres du même auteur côte à côte, dont toutes les couvertures étaient réalisées sur le même modèle: détail d’une femme, couleurs chatoyantes, et kolam. Cela laissait supposer une intrigue centrée autour d’un personnage féminin, dans le sud de l’Inde. Ca me plaisait bien.
J’ai choisi House Of Cards car j’aime beaucoup la série américaine éponyme, et je trouvais intéressant de comparer deux exploitations d’un même idiome. Je ne connaissais pas du tout l’auteur, Sudha Murty. J’ai donc plongé en territoire inconnu.
L’histoire: Mridula est une jeune fille qui incarne la positivité et l’action. Elle habite dans un village du Karnataka, un Etat du sud de l’Inde, et est parfaitement heureuse. Obtenant de bonnes notes à l’école, elle devient institutrice dans son village.

A l’occasion d’un mariage, elle fait la connaissance de Sanjay, un beau médecin timide, travailleur, pauvre et qu’un accident d’enfance a laissé légèrement handicapé (il a un bras plus court que l’autre). Après s’être un peu cherchés, ils finissent pas se marier et Mridula suit son époux « à la ville », à Bangalore.
Ils ne sont pas riches, Sanjay doit finir ses études de médecine, et c’est grace au salaire d’enseignante de Mridula qu’ils vivent, mais ils sont heureux. Sanjay se spécialise en gynécologie. C’est un docteur consciencieux et surtout moralement droit, qui ne s’occupe pas de savoir si ses patients sont riches ou influents – ou démunis et simples cityoens lambda. Il ne cède ni au chantage, ni à la corruption.

Cependant, bien qu’il soit l’un des meilleurs gynécologue de sa ville, la carrière de Sanjay n’évolue pas. Il voit ses collègues moins doués recevoir des promotions ou être sélectionés pour des programmes de pointe parce qu’ils jouent le jeu de la corruption et du léchage de bottes.
Sanjay a un très bon ami, médecin lui aussi, mais qui a choisi de partir aux Emirats arabes unis pour devenir riche. L’ami en question revient au pays quelques années plus tard, de l’argent plein les poches, et il propose à Sanjay de s’associer à lui pour ouvrir une clinique privée. Sanjay travaillait jusqu’alors dans le public, et gagnait un salaire de misère.
C’est le début d’une nouvelle vie pour Mridula et Sanjay: malheureusement, avec le confort matériel, vient aussi l’éloignement. Mridula est toujours idéaliste, alors que Sanjay est de plus en plus préoccupé par son entreprise.

Le « chateau de cartes » de Mridula va s’effondrer lorsqu’elle va découvrir que son mari est corrompu. Elle avait toujours cru que Sanjay était un être droit, qui refusait ce genre de pratique. C’est cette croyance qui faisait encore tenir leur couple. Maintenant qu’elle a découvert le pot aux roses, plus rien ne la retient dans cette vie qu’elle n’apprécie pas. Mridula quitte donc son mari et sa belle maison, et rentre dans son village.
La dernière scène voit Sanjay revenir vers Mridua, qui se ressource dans son lieu favori: près du temple de son village, au coucher du soleil. C’est un nouveau départ.

Mon avis: Je vais commencer par ce qui ne m’a pas plu – le style d’écriture, trop simple. Par exemple, pour traduire les confits intérieurs des personnages, on a le droit à « X pensait ‘blablabla (un paragraphe entier).' », ce que je ne trouve pas très élégant dans le rendu. Pas de mots recherchés, de tournures de phrases ou d’effet de style. Voilà, c’est simplement écrit.
Pas un gros point noir, car le livre se lit dès lors très facilement, mais pour moi qui aime les mots, il manquait un petit quelque chose. J’avais aussi remarqué cela à propos d’un autre roman indien (La Trilogie de Shiva, Amish), et je me demande alors si ce style très simple ne serait pas la marque d’une écriture dans un pays multilingue, dans lequel l’anglais n’est qu’un medium parmis tant d’autres.

L’histoire est le reflet de la réalité de bien des femmes indiennes. En soi, c’est déjà très intéressant. Il y a plusieurs thèmes évoqués dans le roman qui méritent réflexion: le rapport à l’argent, la corruption bien sur, la place de la femme dans la société indienne, les rapports familiaux (la soeur de Sanjay vit avec toute la famille de son mari sous un même toit, ce qu’on appelle une « joint family », ou famille commune), les rapports entre époux, et enfin le thème de l’enfant roi avec le fils de Mridula et Sanjay qui grandit en petit tyran.

Les personnages secondaires ont tous un rôle à remplir, ils incarnent chacun une caractéristique de la société indienne. J’ai particulièrement apprécié le personnage de la mère de Sanjay, pour qui l’argent ne devrait pas être dépensé n’importe comment, et surtout pour qui les sentiments ne se traduisent pas en cadeaux coûteux. Grâce à ses conseils, Mridula va mettre de l’argent de côté, et pourra être financièrement indépendante lorsqu’elle quittera son mari.
Mridula elle-même est très attachante, elle est idéaliste et se bat pour appliquer sa vision de la vie au quotidien. Les railleries de son mari, blasé, qui « sait comment ça marche », la blessent, mais elle ne se laisse pas démonter. Un modèle de ténacité et de générosité.
Sanjay sera tenté par la corruption, mais le fait que sa femme le quitte le chamboulera assez pour qu’il revienne sur ses pratiques douteuses.
Enfin, leur fils, qui est d’abord le reflet de son père, va évoluer et changer son regard sur les femmes lorsqu’il rencontrera l’amour.
C’est un beau conte sur la perte d’un idéal, et sur la rédemption, tout en donnant une image juste de la société indienne actuelle. Le roman a été publié en 2013, il est donc très récent, et d’actualité. C’est aussi un ode féministe, avec un personnage féminin qui se plie aux exigences de la société dans laquelle elle vi dans une certaine mesure, mais qui est indépendante financièrement (au début, c’est même grâce à son salaire que le couple peut vivre) et qui se bat pour ses idéaux.
Une chose m’a gênée: Mridula va consulter un psy, qui lui parle vraiment mal. Je me demande toujours quel était le propos de ce psy…
Pour les lecteurs non-indiens, et surtout les lectrices, c’est une plongée dans un monde bien différent du notre, et on y apprend beaucoup sur la place des femmes en Inde.
Un livre que j’ai lu d’une traite, facile à lire.

L’auteure: Sudha Murthy est une grande dame. Née dans l’Etat du Karnataka en Inde en 1950, elle est profondément attachée à ses racines et au développement social – ce qui ressort bien dans House of Cards.
Diplomée en ingénierie et en sciences informatiques, elle a commencé sa carrière chez Tata, le géant automobile indien. Si le nom vous fait sourire, allez donc jeter un oeuil ici, pour prendre la mesure de l’ampleur de ce groupe. On rigole moins, n’est-ce pas? 😉
Elle quitte son emploi en 1996 pour s’associer à son mari et créer la Fondation Infosys, une ONG venant en aide aux populations pauvres du Karnataka, dans les domaines de l’éducation, du développement rural, de la santé, de la culture et des arts. Elle en est la présidente.
Sudha Murthy écrit en anglais et en kannada, la langue du Karnataka. Ses livres sont disponibles en anglais à la vente par correspondance ou en version électronique sur le site de la Fnac.
Je ne lis pas en anglais sinon ce roman a l’air intéressant tout à fait typique de la littérature indienne. La dernière fois, tu me conseillais des titres que j’ai noté en te remerciant. C’est à mon tour de te conseiller l’équilibre du monde si tu ne m’as pas encore lu.
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Merci Lydie, je prends note.
Effectivement, c’est une auteure assez connue en Inde (pour ses livres, mais aussi pour son engagement humanitaire), mais qui reste confidentielle hors de son pays. Donc ses titres ne sont pas traduits dans d’autres langues. Pour être honnête, comme je l’ai dit dans l’article, je pense que son style d’écriture n’accrocherait pas tellement le lecteur français. On est habitués à plus de verve, de poésie.
Pour ce qui ets de lire en anglais, si jamais tu as envie de te lancer un jour, je te conseille de commencer par la littérature pour enfants. C’est plus facile. Et de laisser tomber le dico pour te laisser porter par les mots, même si tu ne comprends pas tout.
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Je n’avais pas pensé aux livres jeunesse. Je pourrai même commencer par une histoire que je connais.
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Pour moi c’etait les Harry Potter.
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C’est peut être un peu long pour commencer, mon niveau d’anglais est vraiment déplorable 😦
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Cette série a l’air effectivement très intéressante dans le sens où est traité le thème des femmes indiennes dans le monde du travail.
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Effectivement. Mais aussi la place de la femme indienne dans son rôle d’épouse (soumise ou pas?), ce qui est un vaste sujet dans un pays en transition.
PS: il ne s’agit pas d’une série à proprement parler, mais de plusieurs romans bien différents, avec des personnages distincts, mais sur le même thème: la femme indienne.
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C’est un très joli article qui me donnerait bien envie de me lancer dans cette série! Surtout que le sujet est intéressant et à part les livres de Vikas Swarup, je n’ai pas beaucoup lu sur l’Inde! Merci pour la découverte 🙂
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