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Lire dans une langue étrangère

Quelques articles de la blogosphère ont récemment traité de la lecture en Version Originale. Cela m’a fait réfléchir à ma propre pratique de lecture, qui se fait principalement en anglais. J’ai donc songé à partager avec vous mon expérience de lecture dans une langue étrangère… en retournant aux sources, depuis mon intérêt précoce pour la lecture, en passant par mon apprentissage douloureux des langues étrangères.

Flash back: la primaire (ouais!).

jaimelirehorsseriepuisjaimerire22_26102009_231347J’ai toujours adoré lire. Un vrai petit rat de bibliothèque. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un livre entre les mains. Mes parents nous emmenaient les mercredis et les samedis à la bibliothèque de la MJC de notre quartier, et ça faisait garderie. On y restait bien sages, à dévorer les aventures de Tomtom et Nana dans les J’aime Lire (toute une époque!).

C’est dans cette bibliothèque que j’ai découvert Thorgal (d’où ma fascination pour les Vikings – Ragnar si tu m’entends, j’te kiffe grave, mec!) et Papyrus, ainsi qu’un petit livre qui expliquait ce qu’étaient les règles. Des lectures qui ont eu une influence certaine sur ma vie!

Je m’en retournais, le sac alourdis de trois ou quatre volumes, marchant le nez dans une nouvelle histoire, au risque de me prendre un poteau ou de m’emmêler les pieds dans mes lacets défaits.

A la maison, je cachais un livre dans le tiroir de mon bureau et je lisais alors que j’étais censée faire mes devoirs. Des fois, je me couchais même à minuit pour finir un livre (quand on a neuf ans, minuit, c’est très, trèèèès tard!).

Au collège, les langues étrangères ont fait leur apparition. LV1 allemand, c’était horrible; je n’y comprenais rien. A quoi servent les cas? Accusatif, datif, déclinaisons (la fameuse casserole)… je suis une brêle. Ironiquement, je suis en LV1 renforcée, ce qui ne fait qu’ajouter à mon calvaire.

Vient la LV2 avec l’anglais. C’est un peu mieux, mais pas trop. Ca ne m’intéresse pas. Je préfère papoter avec mes copines. Quand on a 14 ans, c’est important.

athenaComme j’aime bien l’étymologie, je m’inscris en grec. Aussi par esprit de contradiction: comme tout le monde fait du latin, moi je vais faire du grec, c’est beaucoup plus exotique et unique. Les déclinaisons me font encore et toujours me vautrer. J’ai des résultats catastrophiques, genre 2/20! Horrible!

Par contre en étymologie, 20/20, et en mythologie et civilisation grecque (mon dada après les vikings et les égyptiens), je décroche un beau 18/20, ce qui me donne pile la moyenne. Je crois que mon prof a eu pitié de moi.

En parallèle, je continue de dévorer toute littérature qui me tombe sous la main, mais je déteste les fiches de lecture – ironique, encore une fois, quand on voit celles que je ponds maintenant pour chaque livre que je lis!

Au lycée j’abandonne le grec, mais bizarrement je me retrouve inscrite en LV3 italien alors que je n’avais rien demandé. Oh joie! Enfin une langue latine, proche du français! Je suis super bonne en italien, ça me remonte le moral. Mais il y a toujours l’allemand et l’anglais que je traîne comme des boulets, et que je déteste de tout mon coeur.

yuyu-hakushoAu lycée justement, beaucoup de mes camarades de classe font du japonais. Ma passion pour les civilisations exotiques avait été étendue à l’Asie par une amie qui m’a fait découvrir les mangas (un univers tout neuf!), je traîne donc avec les japonisants…

Pour me rendre compte que c’est une langue vraiment, vraiment très difficile (deux alphabets, les caractères chinois en plus, et plein de niveaux de langues qui ont chacun  leurs codes. Pour comparaison, en français, on en a trois: soutenu, familier, vulgaire. Les japonais en ont 50.000. Ok, j’exagère, mais à peine…), ce qui me dissuade de m’engager dans cette voie.

Arrive le temps de la fac. Comme je ne sais pas trop quoi faire, je me dis que je vais continuer en langues. La fac de langues de ma ville propose Langues étrangères appliquées (deux langues + introduction au monde des affaires), ce qui me parait un bon compromis. Je ne veux en aucun cas finir prof de langue, je veux pouvoir être sur le marché du travail avec un profil polyvalent.

On propose la combinaison Allemand-Italien, ce qui me parait bien, vu l’horreur que m’inspire l’anglais. Mais coup de malchance, cette combinaison cesse d’exister l’année où je m’inscris. Scrogneugneu. Je réfléchis et décide de me lancer avec le chinois, afin de satisfaire ma curiosité grandissante pour les cultures d’Asie extrême-orientale.

Mon raisonnement est le suivant: 1. le japonais a l’air vraiment trop difficile; 2. la Chine, c’est un peu l’équivalent de Rome et de la Grèce antique au niveau influence linguistique et culturelle pour l’Asie extrême-orientale. Donc autant revenir aux sources pour pouvoir comprendre cette partie du monde dans sa globalité (et après on peut affiner pays par pays: le Japon, la Corée, le Viet-Nam, etc…).

Je m’inscris donc en LEA anglais-chinois, en me disant que malgré ma répugnance pour l’anglais, c’est tout de même une langue bien pratique dans le monde d’aujourd’hui, et ça peut toujours servir. Le chinois me ravit, j’adore cette langue. Quant à l’anglais, je « supporte » parce que c’est un mal nécessaire, mais sans grande conviction.

harry_potter_and_the_order_of_the_phoenixAprès quatre ans d’études, je m’apprête à partir pour un an en échange à Pékin, pour finir mon Master. Woohoo! Trop la grande aventure!! Un soir d’été, je croise un mec plutôt mignon qui lit un dictionnaire dans le métro… en fait il lisait Harry Potter et l’Ordre du Phoenix en anglais! Waaah! Je me dis que ça a l’air chouette et je vais l’acheter à la FNAC fissa.

Pendant les vacances d’été qui précédèrent mon départ en Chine, je me suis donc attelée à ma première lecture en anglais, avec Harry Potter. J’ai commencé de manière scolaire, en notant tous les nouveaux mots et en allant les cherche dans le dico… Mais cette manière de faire m’a très vite frustrée. Pour l’avide lectrice que je suis, qui engloutit les livres plutôt qu’elle ne les savoure, ça n’avançait pas assez vite. J’avais envie de connaître la suite de l’histoire!

matildaJe me suis alors souvenue d’un passage de Matilda, de Roald Dahl: à la bibliothèque, Matilda bute sur certains mots qu’elle ne comprend pas. La bibliothécaire lui dit de ne pas s’y attacher, de continuer sa lecture, et le sens des mots « difficiles » devraient venir tout seul. Alors je me suis lancée sans garde fou. Très vite, j’ai capté le mot pour « baguette magique », « disparaître », ou encore les noms anglais des maisons de Poudlard (qui s’appelle d’ailleurs Hogwarts en anglais)… et je me suis laissée porter par les mots, le rythme des phrases. J’ai fini le livre aussi vite qu’un roman en français.

Ca y est, je savais officiellement « lire en anglais »! Pas trop tôt pour une étudiante en langues 😉

rebeccaArrivée à Pékin, j’ai découvert les joies des copies piratées à 10centimes des étals des vendeurs de rue. J’ai acheté pas mal de bouquins au pif. A ce prix là, ce n’était pas grave de toute façon 😉 Idem pour les DVDs, 10 cents, on ne se ruine pas! Evidemment, la littérature en français était inexistante (par contre le cinéma français ayant la réputation qu’il a, j’ai pu voir pas mal de films classiques et récents français), donc les livres étaient en anglais. Le premier que j’ai lu, c’était Rebecca, de Daphné du Maurier. Quelle claque!! j’avais aussi acheté Lolita, que j’ai mis des années à lire.

Toujours est-il que l’absence de littérature française et la prolifération de littérature en anglais m’a forcée à lire dans la langue de Shakespeare. Jusqu’au jour où j’ai découvert le Centre Culturel Français de Pékin, et je dois dire que j’étais tout de même bien contente de lire à nouveau en français. Je n’ai jamais autant apprécié la littérature française qu’après en avoir été privée pendant quatre mois. Une vraie bouffée d’air frais!

Du côté du chinois, forcément mon niveau a grimpé en flèche après mon arrivée dans le pays. J’ai autant appris en un an d’étude sur place qu’en quatre ans en France. Donc les loulous, si vous voulez vraiment apprendre une langue étrangère, ne perdez pas votre temps: allez directement dans le pays, même six mois. C’est beaucoup plus efficace!

nanaJ’ai acheté des BDs en chinois – mon manga préféré: Nana. Mais lire des romans en chinois a toujours été trop difficile pour moi. Je qualifierais mon niveau d’alors d’intermédiaire: Ok pour une conversation, même sur un sujet un peu technique (genre marketing ou politique), pour suivre les infos à la TV, mais pas pour lire le journal.

Que ce soit pour l’anglais ou le chinois, les films et la TV m’ont énormément aidé. La TV chinoise est automatiquement sous-titrée, donc je pouvais lire ce que j’entendais, ce qui est d’une grande aide. A un moment, j’achetais même des films japonais et coréens avec seulement des sous-titres en chinois, car je comprenais tout. Pour l’anglais, de même: j’achetais pleins de DVDs de films en anglais et je mettais les sous-titres en anglais. J’ai fait des progrès de dingue de cette manière!

Je suis restée trois ans dans la capitale chinoise, qui est une ville très internationale. J’y ai étudié un an, et travaillé deux ans. Après mon Master, mon chinois s’est dégradé au profit de mon anglais. En effet, Pékin est une ville qui compte beaucoup d’expats, qui ont tendance à rester entre eux, et donc à parler anglais. Je n’y ai pas échappé. Mon niveau de chinois a donc baissé, bien que je vive en Chine! Mais mon niveau d’anglais s’est amélioré, surtout que j’ai rencontré un charmant jeune homme indien, dont la langue maternelle est l’anglais!

Au gré des opportunités professionnelles, nous sommes partis nous installer à Bruxelles, capitale de la Belgique et de l’Europe. Idem, c’est une ville très cosmopolite, et la bulle expat, dans laquelle seule l’anglais suffit, est bien présente. D’ailleurs la plupart de nos amis sont britanniques! Donc rebelotte, anglais à toutes les sauces, tous les jours.

Je travaille dans une boite chinoise, mais tout le monde parle anglais – et moi je suis fainéante, donc vous imaginez mon niveau de chinois ras les pâquerettes aujourd’hui, plus de six ans après mon retour sur le Vieux Continent!

Ma tendance à vouloir « sauver des livres » m’a permis d’acquérir une partie conséquente de la bibliothèque d’une amie journaliste indienne qui déménageait…. bien sur, tout était en anglais. Je « sauve » donc pas mal de bouquins de personnes qui déménagent, ce qui est très fréquent à Bruxelles – c’est une plaque tournante, on y reste quelques mois, quelques années.

J’adore lire en anglais. C’est tellement sympa d’avoir le texte tel qu’il a été pensé par l’auteur, et non pas une traduction! Attention, je suis moi-même traductrice, mais c’est peut-être la raison pour laquelle les traductions m’horripilent: la plupart du temps, on ‘sent’ la structure de phrase de la langue originelle, ça sonne un peu bizarre en français… ou quand on connaît bien la langue de rédaction, des fois la phrase d’origine est même complètement transparente!

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Il y a UN livre que j’ai trouvé remarquablement traduit: j’ai été persuadée pendant les 3/4 du roman qu’il avait été écrit en anglais, jusqu’à ce que certaines références me mettent la puce à l’oreille et que je vérifie. Il s’agit de La Morsure de Lucius, une romance gay fantastique (oui rien que ça!).

J’ai lu récemment La Princesse des Glaces, un livre écrit en suédois et traduit en français , et certaines phrases sonnaient un peu bizarre. Je suis persuadée que la phrase d’origine, en suédois, offre des éléments linguistiques impossibles à traduire correctement en français, d’où la phrase bancale.

50-centLa traduction, ce n’est pas seulement des mots: c’est aussi traduire d’une culture à l’autre, d’une référence à l’autre. C’est très vaste et très complexe. Je me souviens par exemple d’une traduction qui nous avait donné du fil à retordre à la fac: ça parlait de 50 cent. Oui, le rappeur. Sauf que la moitié de la classe ne savait pas qui c’était, et s’échinait à essayer de trouver pourquoi on parlait de cette somme dans un texte relatif à l’industrie du disque!

La littérature anglophone me permet aussi de mettre en perspective la littérature française. J’aime les beaux mots, dans n’importe quelle langue, et un roman pauvre en beaux mots m’attirera moins qu’un roman dans lequel une recherche stylistique et lexicale a été faite. Dernièrement, c’est Barjavel qui m’a transportée avec son style lyrique et ses envolées poétiques dans Tarendol.

Lire dans la langue dans laquelle a été écrit l’oeuvre est pour moi une évidence. Il faudrait peut-être que je dérouille un peu mon allemand et mon italien, car je pense avoir des séquelles assez conséquentes de toutes ces années d’apprentissage. Il n’y a plus qu’à réactiver tout ça!

Pour résumer: une relation je t’aime moi non plus avec les langues étrangères, réconciliée grâce à la littérature et au cinéma en version originale 🙂

14 réflexions au sujet de “Lire dans une langue étrangère”

  1. Par rapport aux traductions littéraires, ma chérie m’a dit, et elle a raison, qu’un bon traducteur peut sauver un livre mal écrit en VO, et un mauvais traducteur peut rendre super mauvais un livre pourtant magnifiquement écrit a l’origine. Un métier pas facile !

    Quel parcours tu as eu ! C’est impressionnant 🙂

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        1. Langue maternelle français + un peu d’espagnol dans mon enfance (le collège et le lycée se sont ensuite chargés de complétement me dégouter de cette langue -_-).
          Puis LV1 anglais, beaucoup de latin (8 ans!) et un peu de grec ancien, de suédois et de japonais
          Je regrette surtout beaucoup que l’italien se soit complétement perdu du côté de ma maman. Ma tante se débrouille bien mais comme ma grand mère est décédée très jeune, elle n’a pas eu le temps de vraiment apprendre sa langue à ses filles 😦

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  2. C’est vrai que lire dans la langue d’origine a quelque chose de magique. Sans connaître les mots on comprend aisément le sens. Moi je commence juste à vraiment lire en anglais. Pour l’instant je reste sur du connu : mes livres sur Marilyn. Et je m’aperçois que je devrais essayer aussi d’autres choses…
    Dans ton récit je me retrouve. Bien évidemment c’est le japon qui me fait dire ça. Même si je ne parle pas la langue j’en connais les différents degrés et les mots totalement intraduisibles en français. C’est pour ça que je ne supporte pas de voir des films japonais traduits, il me faut la VO. Et puis une langue a une saveur qui ne se traduit pas. Même si elle est incompréhensible, on y découvre toujours des choses. C’est ce que j’ai pu remarquer en regardant des drama taïwanais ou coréens. Ce sont des langues qui me sont totalement inconnues mais pour rien au monde je les aurai regardé en français !!

    Merci pour ce récit ce fut passionnant à lire.

    Joyeux Noël !

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    1. Tout à fait! Surtout lorsqu’on regarde des films en VO, on se rend compte des intonations, etc… chose qui, des fois, est mal rendu dans le doublage.
      Tu fais bien de commencer avec tes livres sur Marilyn, ça te permet de lire tout en sachant de quoi cela parle, tu ne prends pas trop de risque et tu es certaine d’apprécier ta lecture 🙂

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  3. Long processus d’apprentissage qui semble avoir fait ses preuves ! Je suis un peu comme toi, je déteste relever tous les mots que je ne comprends pas alors je poursuis la lecture et en réalité on finit par en comprendre le sens global. Certain qu’on passe a coté des subtilités mais c’est ainsi qu’on commence.
    Un super exercice de traduction c’est de traduire des tweets d’une langue vers une autre en ne dépassant pas les 140 caractères autorisés 😉

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    1. Entre passer à côté des subtilités et se laisser porter par les mots, il faut faire un choix!
      Syuper exercice que celui du Tweet à traduire, car la plupart du temps certains mots-concepts dans une langue requièrent toute unephrase dans une autre pour en rendre l’idée correctement… donc en 140 caractères, c’est un vrai défi!

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